TEMOIGNAGE// Audrey Emery, 38 ans, a travaillé durant huit ans en politique, au niveau local et national. Après avoir collaboré avec des députés durant un mandat, elle a décidé de changer de vie. Début 2020, elle a ouvert sa laiterie-crèmerie-fromagerie à Marseille.

Publié le 28 oct. 2021 à 8:16Mis à jour le 4 nov. 2021 à 17:39 – Par Chloé Marriault. Site : start.lesechos.fr

« En 2011, je deviens conseillère du maire socialiste d’Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine), et responsable des relations presse de son cabinet. J’adore ce travail en mairie, la première institution vers laquelle se tournent les habitants lorsqu’ils ont un problème. Le rythme est toutefois très soutenu. Il faut constamment être sur le qui-vive car il peut se passer n’importe quoi à tout moment : une canalisation qui se brise, un incendie, une tempête, une rixe entre jeunes, etc.

A l’approche des élections législatives, je me dis que collaborer avec un député et participer à l’écriture de la loi doit être intéressant et galvanisant. L’Assemblée nationale, que je vois comme le coeur battant de la démocratie, me fait rêver. En 2012, j’envoie donc mon CV à Vincent Burroni, alors maire de Châteauneuf-les-Martigues (Bouches-du-Rhône) et candidat PS aux législatives. Ma candidature présente deux avantages : je connais parfaitement sa circonscription, dans laquelle je suis née et ai grandi et je n’ai pas besoin de déménager pour exercer à Paris. J’ai aussi différentes expériences à mon actif : outre mon emploi à Asnières-sur-Seine, j’ai exercé au service communication des mairies du 11e et du 19e arrondissement de Paris.

Collaborer avec trois députés
Vincent Burroni est élu et retient ma candidature. C’est ainsi que je deviens, en 2012, collaboratrice parlementaire. J’exerce dans un bureau au sein de l’Assemblée nationale. Mes missions sont variées : je l’aide dans la rédaction d’amendements, écris ses discours, reçois le public, traite le courrier, gère son agenda, fais en sorte qu’il ait un train ou un taxi pour se déplacer, etc.

En 2014, il perd son mandat de maire. Je lui propose de travailler à mi-temps pour que son autre collaboratrice parlementaire, qui travaillait sur son mandat de maire et de député en circonscription, puisse exercer à temps complet sur son mandat de député. Je commence alors à consacrer la moitié de mon temps à un autre élu, le député socialiste du Pas-de-Calais Philippe Kemel.

L’un siège en Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, l’autre en Commission des affaires économiques. Des thématiques qui m’intéressent grandement. Mon rythme de travail est en dents de scie. Lorsque l’on prépare un texte, mon emploi du temps est stable. Mais lorsque le texte est débattu, il m’arrive de rester jusqu’à 3 heures du matin à l’Assemblée.

En 2016, je cesse de travailler avec ces deux élus pour devenir directrice de cabinet de la vice-présidente de l’Assemblée nationale, la socialiste Sandrine Mazetier. En juin 2017, celle-ci n’est pas réélue. Mon contrat prend fin un mois plus tard. Si elle avait gagné les élections, j’aurais certainement continué deux ou trois ans à ses côtés mais pas davantage. Être collaboratrice d’élus est passionnant mais je sens que je commence à fatiguer. Pour faire avancer les amendements, il faut convaincre votre majorité, l’exécutif… C’est très énergivore.

En tant que collaborateur parlementaire, on forme un tandem avec le/la député.e. On a la main et la vue sur son agenda, sur sa vie. Bref, on noue une vraie relation de confiance. A l’époque, je me dis que ce serait compliqué de trouver quelqu’un à la hauteur de Sandrine Mazetier, que j’apprécie beaucoup. Et je n’ai pas l’énergie pour repartir de zéro avec un autre élu.

Une formation d’un an en alternance
J’entame dans la foulée un mini-bilan de compétences de moins de deux mois et fais quelques séances avec une coach en PNL (programmation neuro linguistique). Résultat : je me demande si je ne devrais pas devenir fromagère !

J’ai envie de défendre le fromage au lait cru, et de défendre les gens qui nous nourrissent mais qui ne sont pas rémunérés à leur juste valeur. Ce métier semble en phase avec mes centres d’intérêt que sont la protection de l’environnement et la gastronomie. Des souvenirs de mon enfance remontent. Je me revois en vacances avec ma famille, qui cherchait toujours à découvrir les produits régionaux. Je repense à mes dégustations de Beaufort, de Saint-Nectaire… J’ai envie de tenter. Ma famille, elle, se demande si je ne suis pas en train de dérailler (rires).


A l’automne 2017, je me lance dans une formation d’un an de crémière-fromagère à l’Institut de formation et de promotion des commerces de l’alimentation (Ifopca), à Paris. Je fais une alternance au sein de la réputée Fromagerie Goncourt, dans le 11e arrondissement. Mon certificat de qualification professionnelle (CQP) en poche, j’ai une envie : retourner dans mon Sud natal et ouvrir une boutique à Marseille.

Et cela tombe bien : sur les bancs de l’école, j’ai sympathisé avec Madeleine Desportes, ancienne acheteuse dans le prêt-à-porter en reconversion. Elle aussi est partante pour se lancer dans un projet entrepreneurial. Ensemble, nous ouvrons notre boutique appelée La Laiterie marseillaise, dans le quartier Saint-Victor, en janvier 2020.

Des produits faits maison

Comté, Saint Nectaire, Maroilles… Nous vendons des fromages faits exclusivement à base de lait cru par des petits producteurs. On propose également une gamme de produits que l’on fabrique nous-mêmes, dans notre atelier de fabrication attenant : des yaourts, des desserts et fromages de type Saint Marcellin, Saint Félicien… Pour les produire, on achète du lait à des producteurs dans un rayon de 80 km.

Je trouve mon nouveau métier très épanouissant. Je fais quelque chose de concret. Et quand je ferme la porte de laiterie à 19 h 30, je n’ai pas l’impression que mon travail me reste dans la tête à longueur de temps. La boutique tourne très bien. Il y a une vraie dynamique à Marseille autour de la gastronomie et des produits artisanaux.

Et puis, avec la crise sanitaire, les gens se sont tournés vers les commerçants de proximité. On se rémunère depuis janvier 2021. A l’heure actuelle, nous avons trois salariés – deux en CDI, l’un en CDD. Et ça, c’est une vraie fierté. »